Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : lien entre volume de chirurgies ambulatoires et résultats postopératoires, le risque Qualité et Sécurité associé aux remplacements des généralistes, relation entre niveau de connaissance des risques et surprescription médicale, l'information au public pour lutter contre les soins inutiles, les chirurgiennes plus exposées aux TMS, les paramédicaux plus exposés aux risques psychosociaux...
De façon générale, la littérature médicale établit un lien positif entre volume d’actes et résultats cliniques. Ces auteurs américains de Philadelphie étudient plus particulièrement le lien entre volume de chirurgie ambulatoire et résultats postopératoires, un domaine moins bien investigué jusqu’à présent. Les données datent de 2018-2019.
L’analyse porte sur un total de 2 328 centres de chirurgie ambulatoire. Elle établit une distinction entre 4 751 patients qui ont eu besoin d’une revisite/réhospitalisation à moins de 7 jours, comparés aux 23 755 patients qui n’ont pas eu besoin de cette revisite et ont eu un parcours postopératoire normal.
Les centres à gros volumes ont moins de patients repris à moins de 7 jours (odds ratio [OR], 1.21; 95 % CI, 1.09-1.36 ; P = 001). Le taux de revisite à 7 jours pour des patients multimorbides en chirurgie orthopédique est 84 % supérieur dans les centres à faible volume/centres à gros volume (OR, 1.84 ; 95 % CI, 1.36-2.50 ; P < 001). Pour les patients ayant subi une chirurgie générale, ce taux de revisite à 7 jours est 36 % supérieur dans les centres à faible volume/centres à gros volumes.
Ce sont surtout ces patients multimorbides qui font la différence. Les écarts pour les patients non multimorbides restent non significatifs entre faible et fort volume.
Les auteurs recommandent donc d’adresser spécifiquement ces patients à risques dans les centres de gros volumes.
Cette équipe anglaise de Birmingham analyse le risque qualité et sécurité associé aux remplacements de médecins généralistes, notamment dans leur investissement plus ou moins important dans la prise en charge globale des patients, et les actions de santé publique associées aux NHS. La méthode repose sur des entretiens conduits avec 130 médecins installés, remplaçants, et patients. Les données ont été recueillies sur un an de mars 2021 à avril 2022.
Les participants décrivent 5 risques récurrents :
À un moment de grande tension sur les effectifs médicaux faisant un appel de plus en plus fréquent (et difficile) aux remplaçants, les auteurs concluent sur l’importance d’une intégration beaucoup plus soignée de ces remplaçants dans "le système" de soins à différents niveaux, local (cabinet), loco-régional (territoire) et global (NHS).
La question des remplaçants est devenue particulièrement aiguë avec les tensions sur les ressources médicales partout dans le monde ; par exemple, aux États-Unis, le réseau des Vétérans dépense 550 millions de $/an pour ce seul exercice temporaire.
Presque paradoxalement, le sujet est peu couvert par la littérature scientifique. En lisant l’étude anglaise publiée et référencée plus haut, on pourrait aisément penser que les remplaçants sont "dangereux" pour les patients et malheureux dans leur exercice.
D’autres résultats montrent que le sujet est même plus large. Par exemple, les hôpitaux anglais les moins bien classés en qualité des soins sont ceux qui utilisent le plus de remplaçants. Dans ce contexte, le commentaire poursuit en s’étonnant que la question traitée dans l’article qui met l’accent sur le besoin d’une intégration systémique globale de ces professionnels, soit finalement limitée aux remplacements de médecine générale et ne traite pas des remplacements à l’hôpital, pourtant au moins aussi fréquents et problématiques.
Pour autant, la vision très noire de la "vie" et de l’exercice des remplaçants donnée par cet article anglais est à relativiser. Une étude allemande récente montre au contraire que ce mode d’exercice "choisi" procure une satisfaction supérieure à celui des médecins installés, avec bien moins de bureaucratie et plus d’autonomie.
Que peut-on réellement recommander au-delà des idées générales ?
Clairement, le premier point pour améliorer la qualité et la sécurité des soins et stabiliser les organisations, serait de réduire cet exercice de remplacement au profit d’un choix d’installation, mais le contexte est loin d’être favorable à cette solution.
Si cela n’est pas faisable, une seconde action envisagerait une plus grande standardisation de l’organisation des cabinets, des outils informatiques et autres, de sorte à préserver/faciliter un transfert d’expertise des remplaçants d’un cabinet à l’autre.
On peut aussi largement bénéficier d’une écoute plus grande de ces remplaçants, de leur feedback et jugement sur ce qu’il faut améliorer dans le cabinet où ils viennent d’exercer.
Restera à traiter le grand paradoxe des solutions proposées qui souhaitent plus de "formatage" et de standardisation du métier de remplaçant, alors que toutes les enquêtes montrent que l’attirance du statut d’exercice de remplaçant est justement la recherche d’une réduction du fardeau bureaucratique.
L’implication organisée des patients dans le suivi de leur propre vécu de leur maladie est apparue comme un progrès réel. Le terme anglais est PROMs (Patient-Reported Outcome Measures).
Il s’agit de questionnaires envoyés régulièrement aux patients en postopératoire pour recueillir leur ressenti médical face à leur pathologie. On sait que leur exploitation en retour est très bénéfique pour détecter les détériorations rapides, les complications encore à bas bruit, etc.
Malheureusement, les patients ne rentrent pas tous dans ce circuit de signalement. Pour les encourager à s’y rallier, ces auteurs américains de Minneapolis, ont proposé de faire des relances régulières par SMS et mails personnalisés, dans le cadre du suivi postopératoire des prothèses de hanche et de genou. La relance intervient au bout de 8 à 12 jours selon un protocole de patients tirés au sort comprenant un groupe témoin sans relance.
À 7 jours avant tout rappel, le taux de réponse pour tous est de 63 %. Au-delà, le taux de réponse est bien meilleur pour le groupe avec rappel mail (51,1 % contre 34,5 %) par rapport au groupe témoin sans rappel. Cette modalité de relance très simple et peu coûteuse fait ainsi ses preuves.
Cette équipe allemande berlinoise s’intéresse à la surprescription médicale en testant l’hypothèse d’un lien au niveau de (mé)connaissance du médecin prescripteur sur ce qu’il prescrit.
L’étude a été conduite en 2023 sur un panel de 304 médecins généralistes anglais contactés par enquête sur leur auto-estimation de leur niveau de connaissance en matière de prescription de classes thérapeutiques à risques. Cette auto-estimation a été confrontée à leurs pratiques réelles avec les données de la base nationale du NHS sur leur prescriptions réelles d’antibiotiques, opioïdes, gabapentines (antiépileptiques) et benzodiazépines.
204 médecins sur ce panel de 304 travaillaient dans des cabinets médicaux réunissant plus de 6 généralistes. 226 d’entre eux déclarent de 10 à 39 ans d’ancienneté de pratique.
Les médecins les moins experts sur le maniement de ces classes thérapeutiques et les risques associés prescrivent globalement plus que leurs collègues plus connaisseurs (60,6 contre 48,8 volumes prescrits/1 000 patients/6 mois).
Les plus experts prescrivent moins d’antiépileptiques (23,84 contre 18,34 volumes prescrits/1 000 patients/6 mois, p=0.023), moins de benzodiazépines (17,23 contre 13,58, p=0.037), mais par contre autant d’antibiotiques (48,84 contre 40,61).
Les plus experts ont aussi moins de conflits d’intérêt et une bien meilleure connaissance et anticipation des possibles effets indésirables de la prescription.
L’article souligne donc bien le lien entre meilleur niveau de connaissance des risques sur les classes thérapeutiques et réduction associée du volume de prescription.
L’information au public pour en faire un allié dans la lutte contre les soins inutiles ou peu pertinents est en progrès.
L’évaluation des effets de cette information reste encore limitée. Ces auteurs australiens nous proposent une revue de littérature sur le sujet. L’analyse finale porte sur 22 études publiées provenant des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, d'Australie et de quelques études multinationales.
La plupart de ces études se sont limitées à l’effet de l’information du public sur une recommandation d’une spécialité.
Les résultats sont plutôt négatifs, suggérant qu’une simple campagne d’information passive a peu de chances d’influencer les pratiques non pertinentes. Il faut sans doute des actions bien plus fortes.
Les instruments chirurgicaux ont presque tous été pensés avec un modèle d’utilisateur masculin en tête, tant pour les tailles, la maniabilité, que la force nécessaire à leur usage.
Une étude récente montre que 38 % des femmes chirurgiennes ont des mains trop petites pour utiliser ces instruments aussi facilement que leurs collègues masculins, avec à la clé, un apprentissage moins aisé des techniques. Elles doivent souvent utiliser leurs deux mains pour des techniques qui ne réclament qu’une main chez leurs homologues masculins.
Ces défauts ergonomiques provoquent une augmentation rapide des troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les chirurgiennes qui peut les amener à des restrictions d’activité sur certaines interventions, voire à quitter la profession rapidement, ce qui ne fait que s'ajouter au déficit de professionnels déjà conséquent.
Le problème est particulièrement intense en gynécologie où les chirurgiennes représentent déjà une large proportion, toujours en croissance, du total des chirurgiens.
Les paramédicaux représentent plus de la moitié du personnel soignant anglais et présentent, de toutes les catégories de personnel, le plus haut taux de risques psychosociaux au travail. Cette analyse de littérature recherche les mécanismes causaux et les solutions proposées.
L’analyse porte sur 8 rapports et 159 sources diverses de publication qui ont permis d’isoler 26 catégories de problèmes dont 16 sont directement liées au surrisque de malaises psychologiques et 10 familles de solutions qui ne marchent pas.
Au total, 5 résultats synthétiques clés émergent :
L’installation d’une culture apprenante, qui se donne le temps, avec des actions proactives plutôt que réactives, des actions individuelles balancées d’actions organisationnelles, semble la ligne d’action qui a plus de chance de réduire les risques observés.
Cette équipe anglo-australienne, spécialisée sur le sujet du harcèlement psychologique et des comportements inadaptés et non-professionnels des médecins, propose les résultats d’un programme appelé ETHOS (crée à Melbourne). Ce programme vise à signaler ces mauvaises attitudes par les membres de l’équipe dans 8 hôpitaux australiens par la mise en place d’un site web dédié.
La connexion au site permet de rentrer dans un menu très simple proposant de classer la raison du signalement :
Une fois la catégorie choisie, un sous-menu guide le professionnel pour décrire l’incident signalé.
L’analyse porte particulièrement sur la part de ces signalements qui risquent d’affecter la sécurité du patient. Ces matériaux sont par la suite discutés en staff de façon très ouverte pour progresser dans l’équipe.
L’analyse porte sur 1 310 signalements recueillis entre 2017 et 2020. Sur ces 1 310 signalements, 395 (30,2 %) pointaient des situations de risque pour la sécurité du patient.
Les infirmiers sont la catégorie de personnel qui fait le plus de signalements de ce type. En fréquence relative, la première catégorie est celle de ne pas "être entendu, être écouté" par les médecins (OR 1,68, 95 %, 1,12 - 2,22), la seconde concerne des médecins "qui ne partagent pas l’information critique sur les patients" (OR 2,5, 95 %, 1,73 - 3,62). On trouve aussi des signalements sur le non-suivi de protocole, le refus des médecins de se déplacer pour voir un patient, des demandes à faire des travaux qui ne relèvent pas de la compétence des personnels, ou encore des interruptions déplacées pendant le passage de consignes.
Cette équipe danoise cherche à identifier les barrières qui existent sur le signalement spontané des étudiants à de mauvais soins dont ils sont témoins.
Les auteurs utilisent un intéressant protocole randomisé en simple aveugle, utilisant des scénettes (vignettes) sur lesquelles ils font réagir les étudiants.
Ces vignettes font varier systématiquement plusieurs éléments déjà cités dans la littérature comme barrières potentielles (normes environnementales, incertitude, présence de la hiérarchie, difficulté). Les étudiants doivent dire pour chaque vignette ce qu’ils considèrent important et s’ils auraient pu signaler ce cas ou pas.
Au total, ce sont 265 étudiants qui ont pris part à l’analyse. Les barrières les plus importantes au signalement de mauvaises pratiques sont l’implication de la hiérarchie directe dans l’acte observé, et la difficulté perçue de la tâche (plus le contexte est complexe, moins l’étudiant se sent à l’aise et compétent pour signaler un écart de procédure).
Les transitions de soins ville/hôpital sont toujours à risques. Les éléments à prendre en compte pour les sécuriser peuvent encore progresser.
Ces auteurs de Standford en Californie proposent une étude qualitative basée sur une analyse de la tâche cognitive des personnes impliquées. Il s’agit au total de 16 observations complètes et détaillées de décharges hospitalières survenues dans deux centres des vétérans entre 2022 et 2023.
Une décharge réussie nécessite une coordination complexe entre l’équipe chirurgicale, l’équipe des infirmiers, les diététiciens, les services médicaux de soins primaires, les services sociaux à domicile, les pharmacies et encore bien d’autres acteurs.
Les observations montrent la complexité de ces coordinations mais montrent aussi qu’au-delà de ces coordinations, plusieurs domaines restent sous-considérés dans l’éducation du patient, notamment sa bonne information sur les soins de sa plaie, des drains et autres matériaux en place sur son corps, le contrôle de sa douleur, les consignes précises sur ce qu’il/elle peut faire ou pas, qui appeler, pour quelle raison, et quand.